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Rapport sur les archives de la préfecture de police (extraits)

Rapport Mandelkern
   

1. Les manifestations des 17 au 20 octobre 1961

Les archives de la préfecture de police ne sont qu'une source parmi d'autres de l'histoire des manifestations d'octobre 1961. C'est à elles que s'en tient délibérément la mission dans les développements qui suivent, sachant que les données et informations recueillies, si elles n'autorisent pas des conclusions définitives, singulièrement quant au nombre de victimes, permettent à tout le moins de mieux serrer l'analyse.


1. 1 Avant la manifestation du 17 octobre

1. 1. 1 L'information du préfet de police sur le projet de manifestation

À en juger par les documents consultés par la mission, la préfecture n'aurait été informée de la manifestation du 17 octobre que le jour même. Les instructions du FLN ne semblent pas avoir été connues avant la nuit du 16 au 17, comme le montrent les notes des Renseignements généraux, classées aux archives de la direction générale de la police municipale, ainsi qu'une note blanche du même jour, qui fait état des " menaces de mort adressées aux FMA qui n'obéiraient pas aux consignes ". De leur côté, les responsables des secteurs d'assistance technique, chargés du suivi administratif et social de la population algérienne, insuffisamment informés des intentions du FLN, n'ont pas su exploiter avant le milieu de la journée du 17 octobre les quelques renseignements remontés jusqu'à eux.

1. 1.2 La préparation et la mise en place du dispositif

Le dispositif policier paraît donc avoir été mis en place dans l'urgence, ce qui explique peut-être le peu de traces laissées dans les archives de la préfecture de police. En particulier, c'est seulement à 16 h 20 que l'état-major adresse un télégramme aux services et unités, leur demandant notamment " d'appréhender les FMA qui manifesteraient sur la voie publique et particulièrement sur les grandes voies de la capitale ". A 17 heures, le palais des Sports de la porte de Versailles, ainsi que le stade Coubertin, sont réquisitionnés pour y conduire les manifestants appréhendés et y procéder à leur identification.

Le service d'ordre comprend "les effectifs disponibles de la préfecture de police, renforcés par trois escadrons de gendarmerie mobile et par deux compagnies républicaines de sécurité. "


1.2 Pendant la manifestation

1.2.1 Le déroulement de la manifestation et les secteurs névralgiques

Les documents relatifs au déroulement même de la manifestation sont abondants : entre autres les comptes-rendus des commissaires-chefs des six districts de la préfecture de police, ainsi que ceux des commissaires d'arrondissement concernés, demandés dès le 17 octobre au soir par le directeur général de la police municipale. Un décryptage des bandes enregistrées lors de la manifestation du 17 octobre de 19 h 40 à 22 h 35 est également disponible. Ces rapports, souvent clairs et évocateurs, donnent une idée de l'importance des cortèges et de l'activité déployée par les forces de l'ordre. Ces dernières étaient, semble-t-il, en nombre insuffisant, le soir du 17 octobre, avec trente sections relevant des formations de la police municipale, effectif porté à cent six dès le lendemain. Même renforcé par trois escadrons de gendarmerie mobile et deux CRS, le nombre d'unités alignées paraît plutôt modeste.

Que certaines de ces formations se soient trouvées à plusieurs reprises en position difficile n'a dès lors rien d'étonnant. Entre autres facteurs, le risque de débordement pourrait expliquer jusqu'à un certain point la violence des affrontements signalés dans quelques secteurs :

- Aux abords du pont de Neuilly où, selon la relation qu'en donne le commissaire de police de Puteaux, trois vagues successives, chaque fois plus importantes (1 000, puis 2 000, puis 4 000 personnes environ), se sont heurtées aux forces de l'ordre entre 20 h 30 et 21 h 30 et où des coups de feu ont été échangés ;

- Sur les boulevards Poissonnière et Bonne-Nouvelle, où une colonne de 3 000 personnes refluant vers la République est dispersée par la force et où un car de police transportant des FMA est attaqué. Des tirs ont également eu lieu.

- Dans le secteur Saint-Michel/Saint-Germain, et ses environs, où des affrontements sont signalés : boulevard Saint-Germain à la hauteur de la rue de Bellechasse avec des manifestants se dirigeant vers l'Assemblée nationale - le commissariat du 7ème arrondissement précise que " l'action fut d'une extrême violence, les FMA voulant poursuivre leur marche " ; place Saint-Sulpice, à proximité du commissariat, où des coups de feu sont échangés. À noter qu'une colonne de FMA, signalée dès 19 h 50 comme se dirigeant vers la préfecture de police par le boulevard du Palais, avait été encerclée à hauteur du tribunal de commerce et qu'une centaine d'entre eux, " neutralisés ", avaient été conduits à la préfecture.

Par comparaison, les secteurs de la Concorde et de l'Étoile, où sont pourtant interpellés des milliers de manifestants à la sortie du métro, voire dès leur descente des rames, restent d'un calme relatif.

Pour la journée du 18 octobre, également marquée par une grève de commerçants musulmans, les seuls incidents graves sont mentionnés près de la gare de Nanterre, où la police fait usage de ses armes. Le 19 octobre n'est pas l'occasion de manifestations de rue, sauf quelques rassemblements sporadiques et limités. Le 20 octobre, la manifestation des femmes et des enfants ordonnée par le FLN ne donne lieu à aucun incident violent.

1.2.2. Le nombre de manifestants

Le nombre de manifestants du 17 octobre est estimé entre 20 000 et 25 000. Dans son Rapport d'enquête sur les événements du 17 octobre mettant en cause la préfecture de police, adressé le 4 décembre suivant au ministre de l'Intérieur, l'inspecteur général de l'administration Roger Wuillaume retient pour sa part le chiffre de 22 000 manifestants. La lecture des rapports des responsables sur le terrain ne contredit pas ces estimations. Quant au rapport d'activité de la direction générale de la police municipale pour 1961, il ne fait pas état, ce qui est inhabituel, du nombre de manifestants présents le 17 octobre.

Pour les rassemblements du 18 octobre, le nombre de manifestants est estimé entre 3000 et 4000. Cette manifestation a principalement pour cadre la banlieue ouest de Paris (Nanterre et Colombes).

Enfin, la manifestation du 20 octobre ne réunit qu'environ 1 600 femmes et enfants.

1.2.2 Le nombre de manifestants appréhendés

Les interpellés du 17 octobre sont exceptionnellement nombreux : 11 538, le lendemain à 6 heures 30, selon le document intitulé Récapitulation des FAM détenus. Ils se trouvent alors répartis comme suit dans les différents centres de regroupement :

- 6 600 au palais des Sports ;

- 2 800 au stade Coubertin ;

- 350 au poste central Opéra ;

- 259 au commissariat central du 3ème arrondissement ;

- 1 529 dans d'autres postes de police.

Les chiffres de 6 600 et 2 800 manifestants sont apparemment trop globaux pour ne pas être considérés comme un ordre de grandeur ; des rapports détaillés présentés par les responsables des deux principaux centres de regroupement font état de 6 263 personnes conduites au palais des Sports le 17 octobre et de 2 623 au stade Coubertin.

Les interpellés du 18 octobre sont au nombre de 1 846 ; ceux du 19 octobre, de 420.

Aux chiffres précédents sont ajoutées les personnes appréhendées dans le cadre des opérations de police normales pendant ces trois jours, soit environ 300.

Au total, le bilan est de 14 094 interpellations, chiffre communiqué, le 27 octobre, par le préfet de police devant le conseil municipal, puis, le 31, par le ministre de l'Intérieur au Sénat.

La forte proportion de manifestants appréhendés est impressionnante. Dans l'ensemble, ceux-ci ne semblent pas avoir opposé à leur interpellation une forte résistance - du moins dans les secteurs épargnés par les affrontements les plus violents. C'est ce que donne à penser la lecture des comptes-rendus consultés par la mission.

Enfin, pour la journée du 20 octobre, le bilan établi par le SCAA est de 979 femmes et 595 enfants conduits dans des centres et foyers sociaux préalablement réquisitionnés, avant de regagner leur domicile.


1.3 Après les manifestations

1.3.1 Le séjour dans les centres de regroupement et au centre d'identification de Vincennes

Les conditions de séjour dans les centres ont été éprouvantes. Le commissaire du 16ème arrondissement, compétent sur Coubertin, les caractérise ainsi : " Elles ont longtemps été rendues mauvaises, en premier lieu par le nombre excessif de FMA amenés ; le petit court a longtemps été occupé (pendant plus de 24 heures) par un millier de FMA debout. " Quant à la nourriture, elle est indiquée comme " suffisante dans l'ensemble, mais les aliments chauds étaient placés dans des récipients individuels qu'il n'a jamais été possible de faire laver ". Les installations sanitaires sont présentées comme le " point faible " : neuf tinettes installées dans le petit court, remplies dès le matin du 20, n'ont été vidées qu'à 18 heures. " La moitié du parc et du court fut couverte d'excréments liquides et d'urine. "

Le président de la commission de vérification des mesures de sécurité publique, le conseiller Viatte, qui a visité le 26 octobre le CIV, fait état dans son rapport d'un " spectacle affligeant ", d'une nourriture paraissant " nettement insuffisante ", de " services d'hygiène réduits au minimum ". Dans le même sens, un télégramme du 24 octobre du commissaire principal du 12ème arrondissement demande le renforcement du service médical du CIV, signalant que de nombreuses personnes sont prises de malaise. […]

1.3.5 Les victimes des manifestations

Lors de la séance de questions orales avec débat du 31 octobre 1961, le ministre de l'Intérieur faisait part aux sénateurs d'un bilan de six morts et cent trente-six blessés hospitalisés pour les manifestations des 17 au 20 octobre. Un document contenu dans les archives du cabinet du préfet de police fait, à la même époque, état de sept morts et cent trente-six blessés.

a) Les morts

La consultation des dossiers de la police judiciaire, ainsi que d'autres pièces d'archives de la préfecture de police, permettent d'établir la liste de ces 7 noms :

- Abdelkader Deroues, retrouvé mort, tué par arme à feu, le 17 octobre vers 21 heures, avenue du Général-de-Gaulle à Puteaux, après le reflux de la manifestation.

- Lamara Achemoune, retrouvé mort, le 17 octobre vers 21 heures, dans une camionnette stationnée avenue du Général-de-Gaulle à Puteaux, tué par balles. D'après le dossier d'enquête, l'autopsie a également constaté une strangulation.

- Guy Chevalier, mortellement blessé, le 17 octobre, devant le cinéma Rex, boulevard Bonne-Nouvelle, vers 21 heures. La mort est due à des coups de crosse sur la tête, reçus pendant une charge.

- Achour Belkacemi, mortellement blessé par le tir d'un gardien de la paix le 18 octobre vers 22 heures, avenue Henri-Barbusse à Colombes, lors de la dispersion d'une manifestation. La légitime défense a été invoquée.

- Abdelkader Bennahar, retrouvé mort le 18 octobre, vers 22 heures, avenue Henri-Barbusse à Colombes. La mort est due à d'importantes blessures à la tête. L'écrasement par un véhicule a été évoqué.

- Amar Mallek, mortellement blessé par les tirs de deux gendarmes le 20 octobre au stade Pierre-de-Coubertin.

- Ramdane Mehani, mort pendant son transfert dans un véhicule de police du commissariat central du 13ème arrondissement au palais des Sports de la porte de Versailles, le 21 octobre, vers 22 h 30. Le registre de l'institut médico-légal [IML] mentionne toutefois la maladie comme cause présumée de la mort.

C'est probablement sur le registre de l'institut médico-légal que pourrait être trouvée trace d'autres victimes éventuelles. Il s'agit là de la source d'information essentielle sur les décès suspects ou violents survenus dans le ressort de la préfecture de police.

Pour la période comprise entre le 17 octobre et le 31 décembre 1961, 88 corps de Nord-Africains (des FMA pour la plupart), sont entrés à l'IML. De l'avis de la mission, le cas de 25 de ces cadavres appelle une analyse plus poussée. Pour ces cadavres, en effet, la date présumée de la mort ou ses circonstances, telles qu'elles ressortent du registre d'entrée, complété, le cas échéant, par les enquêtes de la police judiciaire, ne permettent pas d'exclure tout lien avec les manifestations.

On relève que 22 de ces cadavres avaient fait, à l'époque, l'objet d'enquêtes judiciaires, mais aucune d'entre elles n'a conclu à une relation avec les événements de la mi-octobre. Il n'en reste pas moins troublant que, dans quelques cas, la date du décès ou de la disparition coïncide avec la date des manifestations.

Reste à savoir si certains cadavres auraient pu ne pas être transportés à l'IML à l'époque des manifestations d'octobre et échapper de ce fait aux bilans officiels. L'hypothèse est difficile à prendre en considération, réserve faite de cadavres qui auraient été découverts en aval de la Seine, hors du ressort de la préfecture de police, ou qui ne seraient pas remontés à la surface. C'est précisément pour explorer cette dernière éventualité que la mission a consulté les dossiers des successions musulmanes du Fonds d'action sociale (FAS), que ce service constituait à l'époque - dossiers de nature à aider les investigations puisqu'ils contenaient, en principe, entre autres documents, les bulletins de décès des travailleurs algériens en métropole. Mais ces bulletins n'existent pas toujours, ou sont muets sur les causes du décès : on peut le comprendre, puisque celles-ci n'avaient pas d'intérêt au regard de l'objet des dossiers. Les vérifications entreprises n'ont donc pas été concluantes.

Sous les réserves exprimées ci-dessus, le registre d'entrée de l'institut médico-légal constitue ainsi la source administrative la plus complète, donc la plus fiable, sur les décès survenus au cours de la période considérée.

b) Les blessés

Le bilan réel des blessés est sans doute très largement supérieur au chiffre de 136 donné, le 31 octobre 1961, par le ministre de l'Intérieur. Déjà, le 4 décembre 1961, l'inspecteur général Wuillaume avançait le nombre de 337 blessés, dont " 105 ont été pansés immédiatement et 232 hospitalisés ".

Mais son bilan n'est pas exhaustif, l'enquête n'ayant pu porter, semble-t-il, sur tous les hôpitaux susceptibles d'avoir reçu les blessés de la manifestation. Ainsi ne fait-il état que de huit blessés par balles, alors qu'un seul établissement, la maison départementale de Nanterre, en a soigné au moins seize les 17, 18 et 19 octobre, comme le montrent les enquêtes de la police judiciaire.

Encore le nombre réel de blessés ne pouvait-il se limiter aux seules admissions dans les hôpitaux ; il conviendrait d'y ajouter les manifestants soignés par des médecins de ville ; ceux qui ont été pris en charge par l'infirmerie de leur lieu de rétention ; enfin ceux qui, rentrés chez eux, se sont soignés sans consulter.

Le 6 novembre 1961, la mission de l'Assemblée nationale, composée de MM. Chandernagor, Djebbour et Mignot, qui visitait le centre d'identification et d'hébergement de Vincennes, a constaté que " beaucoup de détenus étaient blessés, généralement à la tête ", et " qu'un certain nombre souffrait de fractures de bras, ces fractures ayant été consolidées et plâtrées ".

Certains comptes-rendus relatifs aux manifestations du 17 octobre 1961 donnent quelque idée des difficultés rencontrées par les forces de l'ordre et de l'extrême vigueur que la répression a pu atteindre sur certains sites. Témoin, cette phrase détachée du rapport du commissaire de Puteaux (17 octobre) dont les hommes empêchaient plusieurs milliers de manifestants de traverser le pont de Neuilly : " Sur les 50 bidules contenus dans deux sacs qu'avait à sa disposition la section d'intervention et que j'ai fait distribuer à tout le monde, trente ont été brisés. " Elle a pu excéder largement les strictes exigences du maintien de l'ordre, comme l'écrit, le 5 novembre 1961, le chef du 3ème district :

" La réaction énergique, face aux manifestations de masse du 17 octobre, s'explique parfaitement, à l'encontre d'un adversaire sorti de sa clandestinité et qui, depuis des années, se concrétisait enfin, après les lâches attentats du mois de septembre.

Il ne fait aucun doute que les gardiens ayant enfin la possibilité de liquider leur contentieux avec le FLN, s'y sont largement employés et ont fait partout bonne mesure. Les brutalités des jours suivants n'ont pas été générales et elles auraient pu être évitées si les hommes avaient été encadrés, ou tout au moins commandés par leurs patrons habituels. " […]


2.2 L'appréciation de la manifestation du 17 octobre dans les sources administratives

Les archives de la préfecture de police font apparaître, dans certains cas, de nettes divergences dans la perception et l'analyse de la manifestation.

La contrainte pesant sur les manifestants ne manque pas d'être soulignée. Une note des RG du 17 octobre indique que les FMA qui n'obéiraient pas aux consignes d'aller manifester ont été menacés de mort. Une note du cabinet du préfet, datée du lendemain, met l'accent sur l'encadrement des manifestants par le FLN, précisant : " La présence de groupes de choc est certaine. À tous moments, ils se sont tenus sur les lisières de la manifestation de façon à pouvoir s'échapper s'ils étaient menacés d'arrestation. La majorité d'entre eux était évidemment armée. " " Il est certain que la foule musulmane ne tenait absolument pas à se joindre au cortège ", ajoute le même document, même s'il admet que tous les manifestants, pris par l'ambiance, ont probablement crié. " Vive l'Algérie algérienne. "

Certains responsables de terrain donnent des détails sur l'encadrement des manifestants :

" Ce qui est caractéristique, c'est qu'il a été remarqué que les FMA étaient encadrés par des individus qui les exhortaient, notamment lorsqu'ils ont descendu la Défense, contre-allée côté Puteaux où devait se dérouler le heurt le plus important ", indique le commissaire de cette circonscription.

Le chef du 3ème district précise : " J'ai été frappé par l'impression de discipline que donnaient les cortèges précédés par des éclaireurs, à environ 40 mètres, guidés par des responsables, flanqués par des " commissaires " chargés de maintenir l'ordre et de convaincre les hésitants. À plusieurs reprises, j'ai été témoin d'actes d'insubordination, énergiquement et rapidement réprimés, le récalcitrant étant contraint sous la poigne du responsable le plus voisin à reprendre sa place dans les rangs de ses camarades. "

Mais la part de la coercition est aussi quelque peu relativisée par d'autres sources administratives :

Un document émanant du service de coordination de l'information sur les Nord-Africains, sans méconnaître la gravité de la menace, donne un éclairage différent : "Mis en condition par la propagande frontiste, qui a su parfaitement utiliser le prétexte d'une protestation contre les mesures prises par la préfecture de police, les musulmans dans leur grande majorité n'ont pas manifesté à leur corps défendant. "

Il faut le redire : les développements qui précèdent ne renferment pas les conclusions définitives d'une enquête sur les événements. Il appartiendra aux historiens, par le rapprochement et l'analyse approfondie de toutes les sources, de les tirer.

Du travail dont il a été ici rendu compte se dégagent cependant plusieurs observations.

D'abord, malgré des lacunes, les archives de la préfecture de police sont substantielles en volume et en intérêt.

Elles n'ont pu être retrouvées et rassemblées par la mission que parce que les services de la préfecture de police ont fait preuve d'esprit de coopération, et mieux encore, d'initiative.

Il en ressort que les événements du 17 octobre 1961 s'insèrent dans un contexte qui déborde cette journée. Elle marque le paroxysme d'une période de violence qui avait commencé au début de septembre et s'est achevée peu après la manifestation, même si les conséquences ne s'en sont révélées que dans les semaines suivantes.

D'autre part, il est clair que cette manifestation a donné lieu à une répression très dure : les chiffres et les relations de certains responsables de terrain le démontrent amplement.

Parmi ces chiffres, celui des morts serait le plus significatif s'il pouvait être donné avec assurance. Tel n'est pas le cas. Mais à supposer même que l'on ajoute au bilan officiel de sept morts la totalité des vingt-cinq cas figurant à l'annexe 111, et que l'on considère que les facteurs d'incertitude, et notamment ceux qui tiennent aux limites géographiques de l'étude, justifient une certaine majoration, on reste au niveau des dizaines, ce qui est considérable, mais très inférieur aux quelques centaines de victimes dont il a parfois été question.